Ilham Jalal : une femme qui n’en decoud pas

Ilham Jalal : une femme qui n’en decoud pas

Ilham Jalal est gérante d’une boutique Rapid’ Couture à Nantes depuis presque un an. Au fil du temps, son histoire se tisse et se métisse au gré des hasards de la vie. Tantôt secrétaire, tantôt danseuse, le parcours de la jeune marocaine n’a pas toujours été cousu de fil blanc. Sans retouches, Ilham Jalal reste déterminée, sans jamais se fier aux préjugés.

« Aïe ! J’ai l’impression de passer un entretien d’embauche ! ’ ». Voilà ce que nous dit Ilham Jalal au début de la rencontre. On ne comprend pourtant pas pourquoi cette maman de 46 ans redouterait un tel entretien, elle qui a exercé bien des professions. Infirmière, secrétaire, couturière… et danseuse à ses heures, elle a plus d’une corde à son arc. En plus, elle nous confie qu’à 16 ans, elle voulait être pilote de ligne. Mais la fonction était alors réservée aux hommes. La jeune marocaine, loin de se laisser abattre, part alors en Tunisie faire une formation d’infirmière anesthésiste. En 1988, elle débarque en France (fruit du hasard, un 14 juillet), son diplôme en poche. Comme il n’a malheureusement aucune valeur de l’autre côté de la Méditerrannée, Mme Jalal doit se tourner vers l’administration. Mais la vie de bureau, coincée sous une quantité de paperasse, ne convient pas à la bouillonnante jeune femme. L’inscription de sa fille à l’école de cirque, c’est l’occasion rêvée. Elle propose ses talents de couturière et est embauchée. Elle jongle alors entre réalisation de costumes, cours de danse orientale, ateliers de préparation corporelle. La crise financière de 2008 aura malheureusement achevé ces sept années de succès. Mais la trapéziste refuse de se laisser tomber dans le filet du chômage, mais surtout dans celui des papiers et des dossiers. Hors de questions de se retrouver enfermée dans un bureau. Elle se met immédiatement à la recherche d’un nouvel emploi et trouve un poste de couturière. Deux ans plus tard, elle rachète la boutique de ses employeurs partis à la retraite. Aujourd’hui, elle fait tourner seule son affaire, depuis près d’un an déjà.
« Augmenter mon chiffre de 22% »

On l’aura compris, Ilham Jalal est une entrepreneuse. Elle se qualifie tout de même d’artisan de part le métier qu’elle exerce : Rapid’ Couture, c’est de la création, de la retouche, de la couture… Mais la spécialité, c’est que les travaux peuvent être faits très rapidement, dans la journée. L’idée d’être son propre patron était mûrement réfléchie, « comme tout ce que je fais’ » précise-t-elle. Elle n’a pas d’employé et n’en veut pas pour l’instant ; elle décide seule de ses horaires, de son salaire. « Personne ne m’embête ! » dit-elle avec un sourire. La franchise Rapid’ Couture n’est là que pour faire le bilan, conseiller éventuellement ; mais Mme Jalal ne leur doit rien. Même si sa petite entreprise ne connait pas la crise, le début de l’aventure d’un entrepreneur n’est pas toujours facile. Les banques ont en effet refuser de suivre Mme Jalal avant sa reprise du magasin. Comment l’explique-t-elle ? ‘« Femme, étrangère, divorcée, deux enfants à charges : je cumulais toutes les tares ». Triste réalité. Elle promettait pourtant une augmentation du chiffre d’affaire de 20%, elles lui ont ri au nez. Malgré ça, elle relativise aujourd’hui : ‘« Je suis très fière, car j’ai réussi à augmenter mon chiffre de 22%’ », tout ça grâce au bouche à oreille, sans aucune pub. Situé entre le boulevard des Anglais, plus chic et le quartier du Breil-Malville dit « populaire », l’emplacement est pour le moins étonnant. La clientèle vient principalement du quartier Procé. Mme Jalal  estime en effet que seulement 20% de ses clients viennent du Breil. Néanmoins, elle se sent aussi proche  des deux univers. Elle nous confie qu’elle-même habite Rond-Point de Rennes et fait ses courses au Breil. Alors quand vient la question « la position de la boutique près d’un quartier populaire vous a-t-elle gênée ?’ », de but en blanc, elle répond : « la question ne s’est jamais posée. Chaque quartier a sa richesse. Ici, c’est un quartier modeste, donc des gens modestes. Mais modestes en quoi ? ». Pour Ilham Jalal, il s’agit surtout de « catégories » de personnes que l’on veut cataloguer. Il n’y a donc aucune différence. Affaire classée. Pourtant, on insiste : sur le site de Rapid’ Couture, il est mentionné que le magasin appartient au Rond- Point de Vannes mais aucune allusion au Breil. Alors, c’est un simple hasard ? On ne sait pas. Mais encore une fois, Mme Jalal évoque le catalogage des quartiers, où l’on trouve pourtant des gens parfaitement normaux. « Je traverse souvent le Breil et à des moments différents. Je ne me suis jamais sentie menacée, que se soit de jour, de nuit, en été, en hiver ». C’est à force d’entendre que les quartiers sont dangereux qu’on finit par le croire. « Je ne juge jamais », cependant, elle sent bien qu’ici on ne se mélange pas. Si il y a deux pharmacies, les gens préféreront aller à celle qui est du côté du quartier Procé plutôt qu’à celle du Breil. Les frontières existent : « c’est perceptible mais discret ».
Faire tomber les frontières
Pour Ilham Jalal, le côté social a aussi contribué à la réussite de son commerce. Chez elle, les gens arrivent, déposent leurs affaires à retoucher, s’assoient, discutent, échangent les nouvelles. C’est chaleureux. C’est vrai qu’en arrivant, on a l’impression de se sentir dans un petit salon… et ça sent bon. C’est elle qui a arrangé le magasin pour donner cette dimension conviviale. En répondant à nos questions, elle est calée dans son fauteuil, derrière sa machine à coudre, pieds nus. Alors pourquoi ne pas faire une animation « initiation à la couture » ? Par manque de temps, de matériel, de
place. A l’école de cirque, elle organisait de tels ateliers. « J’aime beaucoup transmettre ». Employée chez ses anciens patrons, c’est elle qui s’occupaient des stagiaires. « C’est plaisant de partager une passion. » Avec le cours de danse orientale qu’elle anime, elle essaye d’organiser des spectacles pour le Téléthon. Pour l’avenir, Mme Jalal a un rêve, mais, comme elle le dit elle-même, pour l’instant « c’est dans sa tête », rien de concret. Alors elle préfère ne pas trop en parler. En fait, elle aimerait ouvrir d’autres magasins et, pourquoi pas, être la première « Rapid’ Couturière » à s’installer au Maroc ! On sent pourtant qu’elle sera réticente à quitter le quartier, car quand nous lui demandons pourquoi elle a accepté de participer à notre projet, elle nous répond : « Je sentais que j’avais ma place ici. Plus les frontières tombent, plus on s’accroche à son bout de terre. »

Ilham Jalal, une femme qui n’en découd pas from Lolab on Vimeo.

Chloé Ruda