Thomas Mauceri © Thomas Mauceri

Thomas Mauceri : « En Afrique on m’appelait ‘le p’tit blanc’ »

27 février 2013

Mouton noir est un film-documentaire autobiographique tourné en 2008. Son réalisateur, Thomas Mauceri, y est aussi l’acteur principal. Ce long-métrage traite de la vision des coiffures afro à travers trois salons de coiffures situés sur trois continents différents : l’Afrique, l’Amérique et l’Europe. L’œuvre évoque aussi l’importance de respecter et d’assumer ses origines par le biais de sa coiffure. Katell Jacq et Margot Dutertre ont rencontré Thomas Mauceri, lors d’une projection à la médiathèque Luce Courville, à Nantes.

Pourquoi avez-vous appelé ce film Mouton noir ?

Thomas Mauceri : Parce que j’ai les cheveux crépus et quand j’étais petit tout le monde me touchait les cheveux en me disant que ça avait la même texture que la laine d’un mouton. C’est donc pourquoi j’ai eu cette idée là et puis Mouton noir car c’est une expression qui parle de quelqu’un qui est à part et en dehors du groupe donc ça me semblait être approprié pour parler de l’identité métisse qui sort un peu de l’identité blanche ou noire.

Et pourquoi l’avez vous réalisé ?

TM : C’est parti du fait que j’ai étudié le cinéma aux États Unis. Là-bas je me suis laissé pousser les cheveux et comme ils sont naturellement crépus c’est devenu des dreadlocks. De fait, quand je suis rentré en France je me faisais bien plus arrêter par la police qu’avant. Les gens pensaient que j’étais un dealeur de drogue. En réalité, je n’avais que des problèmes à cause de mes dreadlocks et je me suis dit qu’il y avait un décalage entre la manière dont les gens me percevaient – à cause de ma coiffure – et la personne que j’étais réellement. Donc je me suis dit, que peut-être il y avait matière à faire un film.

L’idée du film est venue d’un coup ou c’est une décision mûrement réfléchie ?

T.M : Ça a demandé un temps de réflexion et de maturation, mais je dirais que quand même c’est venu très rapidement. L’idée était vraiment de filmer dans les salons de coiffure et pas ailleurs, car un salon de coiffure est un lieu d’échange. Les gens y vont, discutent de leur vie de famille, de leur travail; dans certains salons de coiffure on va même échanger sur la politique ou la religion. C’est donc un endroit où la parole circule mais c’est aussi un lieu de l’image. C’est-à-dire qu’il y a des miroirs, des posters, des photos partout et l’on vient pour modifier sa propre image à travers ses cheveux.

Salon à Brazzaville © Vivement Lundi !/TV Rennes 35

Qu’avez vous ressenti en tournant ?

TM : C’est-à- dire ressenti ?

Au sens où c’est totalement autobiographique. Est-ce que le fait de l’exprimer par le biais d’un documentaire, ça vous a fait quelque chose ?

TM : Au départ je ne voulais pas apparaître dans le film, c’est mon producteur qui a insisté: il pensait que c’était le meilleur moyen de raconter cette histoire là, ces problèmes d’identités. Mais c’est bizarre de parler de soi, de se baser sur sa vie personnelle pour faire un film-documentaire. J’ai plutôt ressenti le sentiment assez étrange d’exposer, un peu, une partie de soi-même. Mais après, ça a facilité le contact avec les gens qui participaient au film. En partant de mon expérience, où je me mettais un peu en avant et en danger, les gens étaient ensuite beaucoup plus à l’aise pour me raconter leurs propres vies, leurs parcours et leurs problèmes. Il y avait donc un sentiment de partage, important je pense, pour réussir à raconter cette histoire.

Vous avez tourné en France, en Afrique et aux États-Unis. Y-a-t-il un décalage entre les trois, quant à la vision de la coiffure ?

TM : Oui, c’était une des raisons pour lesquelles on a tourné sur trois continents. L’idée était de voir quelles étaient les différences de perceptions sur l’identité via les cheveux. Et effectivement il y a un important décalage entre, on va dire l’Occident d’un côté – à savoir la France et les États-Unis – et l’Afrique de l’autre. Pour résumer grossièrement, les noirs qui vivent en Occident cherchent à ressembler aux noirs qui vivent en Afrique alors qu’en Afrique c’est le mouvement inverse, les noirs africains cherchent plus à ressembler aux blancs. Il y a beaucoup de défrisage en Afrique, alors qu’en France ou aux États-Unis, il y a de moins en moins de défrisage. On retrouve plus de tresses, de dreadlocks, une façon de se rapprocher d’une idée fantasmée de ce qu’est l’Afrique. Il y a une vraie différence de perception entre les continents.

Salon à Brazzaville © Vivement Lundi !/TV Rennes 35

Vous vous sentez plus proche de quelle perception?

TM : Moi, par la force des choses, je suis né en France. Ma mère est blanche et française et mon père est africain. Mais ayant grandi en France et vécu aux États-Unis, j’ai une identité et une culture qui est beaucoup plus occidentale. Finalement je ne connais pas du tout l’Afrique – lors du tournage du film, c’était la première fois que j’y allais – et d’ailleurs sur place on m’appelait « le p’tit blanc », ce qui veut qu’on me considérait ni comme un africain, ni comme un noir. Ce qui est assez amusant car en France on va me cataloguer comme un noir alors qu’en Afrique on me considérait donc comme un blanc. Encore une fois, il y a un décalage de perception.

Et l’association de vos dreadlocks avec l’image d’un dealeur aux États-Unis ?

TM : Je n’avais plus de dreadlocks quand j’y suis allé, donc la question d’être perçu comme tel ne se posait plus. Mais il y a cette culture de la coiffure afro. Par exemple, j’ai tourné dans un salon assez particulier à Baltimore, qui est tenu par une coiffeuse très militante. Elle revendique le fait de laisser les cheveux au naturel pour les femmes noires : elle refuse de les défriser et les incite plutôt à porter des dreadlocks, des cheveux crépus ou à faire des tresses pour se rapprocher de leurs racines africaines. Cette coiffeuse part du principe que si les femmes noires se font défriser les cheveux, c’est pour ressembler à des femmes blanches et que c’est une négation de leur propre identité. De façon sous-jacente, il y aussi une forme d’intégration du racisme: effacer le plus possible sa négritude pour ressembler le plus possible aux blancs. Elle se bat contre ça. Forcément, la perception qu’elle avait de moi était totalement différente de ce que j’avais pu vivre en France, quand on me prenait pour un dealeur parce que j’avais des dreadlocks. Elle, au contraire, trouvait que c’était un signe de fierté de porter des dreadlocks ou des tresses.

Vous aussi vous pensez que c’est un signe de fierté de porter des dreadlocks?

TM : Je suis plus mesuré que la coiffeuse que j’ai filmée: je ne suis pas aussi revendicatif qu’elle, mais je pense qu’elle n’a pas tout à fait tort. Selon moi, il y a un problème avec le défrisage, principalement des femmes. De fait, porter des dreadlocks est, ou a été, un vrai acte de rébellion, une vraie fierté et je pense qu’effectivement la fierté et la rébellion servent à combattre une forme de racisme et de ségrégation.

Propos recueillis par Margot Dutertre et Katell Jacq

Photos © Thomas Mauceri et Vivement Lundi !/TV Rennes 35

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