Gorée CC Robin Taylor

Sous le vernis des lieux de mémoire

19 février 2013

Les lieux de mémoire contemporains autour du commerce triangulaire et de la traite négrière des XVIIe, XVIIIe et XIXe siècle, marquent une volonté de perpétuer le souvenir. Mais derrière le message commémoratif de ces édifices se cachent souvent des vérités plus complexes et moins reluisantes. Voyage entre Afrique et Europe, Gorée et Nantes.

La Maison des esclaves de l’île de Gorée (Sénégal) semble être un bâtiment anodin avec ses deux escaliers rougeâtres. C’est en réalité un des lieux de mémoire de l’esclavage les plus importants aujourd’hui. Elle est inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco (Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture) depuis 1978.

L’actuelle Maison des esclaves daterait de l’année 1776. Cet édifice aurait été la dernière « esclaverie » en activité à Gorée. Au rez-de-chaussée se trouvaient les cellules (pour les hommes, les jeunes filles, les enfants, les inaptes temporaires) mais aussi des chambre de « pesage ». Les familles étaient donc séparés dans différentes pièces. D’après l’Unesco, cette petite maison contenait entre 150 et 200 esclaves, l’attente du départ durait parfois près de trois mois.

Traite négrière ou commerce de marchandises ?

Gorée CC Robin Taylor

Mais ce musée fait l’objet d’une controverse : des études historiques montrent que la Maison des esclaves n’aurait joué qu’un rôle mineur dans la traite des noirs. Dès 1996, le journaliste du Monde, Emmanuel de Roux, dans son article intitulé  »Le mythe de la Maison des esclaves qui résiste à la réalité », remet en cause les chiffres avancés par Joseph Ndiaye, ancien conservateur de la Maison des esclaves.

En effet on peut réellement douter par exemple de l’usage que les commentaires officiels attribuent à la « porte du voyage sans retour ». Selon le site officiel de la Maison des esclaves, c’est par cette porte que les esclaves accédaient aux quais pour embarquer vers l’Amérique. En réalité la porte parait inadaptée à un tel usage

De plus ce ne seraient pas les Hollandais qui construisirent la bâtisse au XVIIe siècle, mais les Français et cela en 1783, donc à une période où la traite européenne avait cessé dans la région de la Sénégambie depuis plusieurs décennies. Cette maison aurait donc été commandée par Anna Colas, une « signare », c’est à dire une riche métisse, et les « cellules » de la Maison des esclaves auraient été en réalité des entrepôts de marchandises.

Mais malgré toutes les polémiques, elle reste tout de même un lieu symbolique commémorant la traite négrière.

Nantes, sur le chemin de la mémoire

Nantes CC Groume

C’est en 1998, à l’occasion du 150e anniversaire de l’abolition de l’esclavage, que le conseil municipal de Nantes décida de construire un mémorial. Son inauguration a eu lieu 14 ans plus tard, le 25 mars 2012. La vocation de ce lieu est de se souvenir des faits passés et non d’expliquer l’histoire, aux dire de ses concepteurs. Le mémorial, conçu comme un cheminement, a coûté au final 7,9 millions d’euros. Il est l’œuvre de l’artiste polonais Krzysztof Wodiczko et de l’architecte Julian Bonder.

Tout au long de la promenade, on peut apercevoir sur le sol près de 2000 pavés de verre. Ainsi 1710 petites stèles rappellent les noms des navires et les leurs dates de départ. Les 290 pavés restants indiquent les ports d’escales en Afrique et aux Amériques. Par la suite le visiteur descend des escaliers et se retrouve immergé dans un souterrain d’une longueur de 90 mètres .

À l’intérieur, des citations sont inscrites sur des parois en verre en différentes langues et émanant de différentes sources. A l’entrée du tunnel il y a par exemple un extrait de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 : « Nul ne sera tenu en esclavage ni en servitude; l’esclavage et la traite des esclaves sont interdits sous toutes leurs formes.»

Si Nantes a financé un tel projet c’est bien parce qu’elle occupait une place importante dans le commerce triangulaire. Elle a été le premier port négrier de France de la fin du XVIIe siècle jusqu’à l’abolition de la traite.

Vérités brutes et vrai musée

Nantes CC Groume

Mais pour certains Nantais, ce lieu de mémoire aurait du être disposé d’une autre manière. Le site SlateAfrique rapporte que pour l’association les Anneaux de la mémoire, il aurait fallu un mémorial avec une symbolique plus proche de l’histoire de Nantes, quitte à révéler des vérités brutes même si celles-ci ne sont pas toujours bonnes à dire. D’autres encore – notamment le Collectif du 10 mai, auraient préféré la construction d’un vrai musée sur le commerce triangulaire

D’après Jean Breteau l’un des fondateurs de l’association les Anneaux de la mémoire, interrogé par SlateAfrique le monument n’est pas à la hauteur de l’enjeu: « L’idée d’une promenade méditative n’est pas une bonne chose, c’est à chacun de choisir où il veut méditer. Car l’on crée ainsi un devoir de mémoire prépensé, prémâché. Il n’y a pas vraiment d’avis contradictoire.»

Par Léna Lafon et Nora Klai

Photos CC Robin Taylor et Groume

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